Un anniversaire au milieu du chaos

Depuis plus de 30 ans, Gena Heraty s’occupe d’enfants particulièrement vulnérables en Haïti. Elle dirige le programme destiné aux enfants en situation de handicap et se consacre entièrement à son développement. A l’occasion de ses 50 ans, elle partage avec nous ses réflexions sur la situation de crise actuelle en Haïti.

Je suis assise ici, au foyer Ste Christine et, mis à part le chat, c’est plutôt calme. Certains des garçons mangent, les filles sont en train de se ronger les ongles sur le balcon, et d’autres garçons sont assis et les regardent.

J’ai l’impression d’avoir beaucoup de choses à dire, mais je ne sais pas par où commencer. Est-ce que je commence par les pneus qui brûlent actuellement à Pétionville en raison de la crise actuelle du carburant ? Est-ce que je commence par certains des progrès incroyables que nous avons connus avec certains de nos enfants ? Je devrais peut-être commencer par dire que mon anniversaire était la semaine dernière.

Le 7 septembre, j’ai eu 50 ans ! Quel honneur d’atteindre cet âge-là, beaucoup n’y parviennent pas. J’ai passé une excellente journée avec les enfants et les amis et je me suis sentie très aimée et appréciée. Dès que je me suis levée du lit, il y a eu des chansons, des câlins, des bisous et des rires.

Rose Therlie, une des filles, est venue chanter avec un cadeau et j’étais très curieuse de savoir comment elle avait réussi à me faire un cadeau. Il y en avait trois, l’un était un cadre photo (évidemment, un cadeau qu’elle avait reçu auparavant), un autre ressemblait à un animal en peluche, mais ce n’était pas le cas et je ne suis toujours pas sûre de savoir de quoi il s’agit. Nous pensons que c’est quelque chose qu’elle a retiré d’un fauteuil roulant. Quand j’ai demandé à Therlie ce que c’était, elle m’a répondu que c’était un ours en peluche ! Et le troisième était une lettre, pas n’importe quelle lettre. C’était une carte que j’avais écrite pour son anniversaire en 2013. Que Dieu bénisse Rose Therlie, elle a un cœur en or et aucun cadeau n’a plus de valeur que ceux qu’elle m’a donnés ! Yvonne, une autre des résidentes, a commencé à chanter pour moi quand elle est sortie de la douche et a passé toute la journée à chanter et à m’embrasser.

(…)

Et qu’en est-il d’Haïti ? Les choses ne sont vraiment pas faciles ces jours-ci. Nous sommes en pleine crise de carburant depuis près de trois semaines. Essentiellement, parce qu’il n’y a pas assez de carburant dans le pays et que les gens ont beaucoup de mal à en avoir. Concrètement, cela signifie que les stations-service restent fermées. Si elles ouvrent, il y aura des émeutes lorsque des personnes désespérées tenteront de se ravitailler. Sans essence, il n’y a pas de transport en commun. Pas de transport signifie plus de difficultés et même la mort. Pourquoi ? Je vais vous expliquer.

Notre hôpital est presque vide ces dernières semaines car sans carburant et sans transport en commun, les malades ne peuvent pas arriver jusqu’à nous. Les stations-service qui fonctionnent augmentent les prix car elles achètent du diesel sur le marché noir à un prix deux fois supérieur au prix normal. Les malades ne peuvent donc pas atteindre l’hôpital.

Alors qu’en est-il de la femme enceinte qui a désespérément besoin d’une césarienne ? Que se passe-t-il si une personne a un accident vasculaire cérébral (la principale cause de décès chez les adultes en Haïti) ? Qu’advient-il des enfants atteints de pneumonie (l’un des plus grands risques chez les enfants haïtiens de moins de 5 ans) ?

Vous pouvez facilement imaginer ce qui se passe. Ceux qui ne meurent pas à la maison se retrouvent à l’hôpital quelques jours plus tard, une fois qu’il y a du carburant disponible. Leur état est souvent catastrophique. C’est déchirant !

Fréquemment, le personnel et les patients doivent éviter les balles et les cailloux. Ils doivent franchir les barrières et les barricades en flammes chaque jour. L’été a été relativement calme.

Malheureusement, les pénuries de carburant, le taux d’inflation (en hausse de 19% depuis janvier) et la dévaluation de la gourde ont entraîné la reprise des manifestations. Le manque de carburant a empêché la réouverture de nombreuses écoles. En Haïti, mettre les enfants à l’école est très difficile pour les parents. Beaucoup sont au chômage sans assistance sociale ni aide pour les frais de santé. A Ste Germaine, notre école spécialisée pour enfants en situation de handicap, nous avons été impressionnés car nous avons eu des élèves. Les parents ont fait un grand effort pour les amener.

À Ste Hélène, l’école était pleine d’enfants, un contraste complet avec le centre-ville. Tous brillaient dans leur nouvel uniforme. Quand je vois tous les enfants de notre école, heureux et plein d’énergie, plein de potentiel, cela me remplit d’espoir. C’est ce qui se passe en Haïti : tellement de contrastes. A chaque catastrophe, il y a toujours le potentiel et la possibilité d’améliorer les choses. Plus de 600 enfants de la communauté fréquentent notre école à Kenskoff. Il s’agit d’une excellente opportunité pour les familles locales car notre école ne leur coûte presque rien. Par ailleurs, c’est une très bonne école qui permet aux enfants de recevoir une éducation de qualité.

Quelle est la prochaine étape pour Haïti ? Nous n’en avons aucune idée. L’opposition demande une nouvelle fermeture du pays pour protester contre le manque de carburant, le coût de la vie et la corruption évidente. Beaucoup de gens sont fatigués. C’est difficile de ne pas l’être. L’une de nos thérapeutes a été volée hier, sous la menace d’une arme à feu. Malheureusement, cela arrive tout le temps. Personne n’a d’épargne, alors vous pouvez imaginer à quel point la situation est tendue. Des collègues de longue date partagent leurs préoccupations car ils n’arrivent pas à envisager un avenir pour leurs enfants. Les bonnes personnes qui travaillent dur commencent à désespérer. C’est très triste.

Nous devons trouver un moyen de garder espoir. Nous devons continuer à trouver la force et le soutien nécessaires pour continuer à faire ce que nous faisons, et plus encore. Ce que nous faisons est important et nous avons trouvé le moyen d’être une lumière dans le noir. Je vais terminer sur ces mots :  » Quand il pleut, cherche les arcs-en-ciel, quand il fait noir, cherche les étoiles. « 

Dans ma vie, je suis bénie parce que souvent, les enfants et les jeunes avec lesquels je vis sont mes arcs-en-ciel et mes étoiles. Encore et encore, ils nous inspirent. Ils surmontent tant de défis et sont la preuve vivante que nous ne pouvons jamais perdre espoir. Ce sont des jours sombres en Haïti. Beaucoup de gens ont besoin de trouver des arcs-en-ciel et des étoiles.

Votre soutien nous permet de faire la différence. Votre soutien permet aux enfants d’aller à l’école. Votre soutien leur permet d’être en bonne santé et leur donne une enfance. Ne sous-estimez jamais à quel point nous apprécions votre soutien ! Ne sous-estimez jamais à quel point nous en dépendons !

– Gena

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